Le saut à l'élastique

Publié le 12 Janvier 2007




Anthony, Trabajando


Salle 3009, 8 heures du matin.
 

- Bonjour Madame, Bonne Année !

Je réfléchis un instant. C'est normal, je n'ai pas vu mon groupe d'hispanisants de seconde BEP depuis la sortie.

- Feliz y Prospero Año Nuevo !

Ils se bidonnent sans m'écouter et entrent dans la salle en accrochant leurs sacs au chambranle de la porte. Je renonce à râler.

- Madame, vous avez cherché les paroles des chansons de Calle Ocho que je vous avais gravées ?

Je dois bien lui avouer que non. Mathieu fronce le nez un peu déçu. Zut ! Je lui avais promis pourtant.

         Je distribue les documents de la nouvelle séquence. L'image qui représente un type en train de sauter à l'élastique suscite un torrent de commentaires que j'ai toutes les peines du monde à endiguer. Anthony en équilibre sur deux pieds de sa chaise fait mine de l'imiter. Jérémy le rattrape in extremis.

- Pues niño, siéntate correctamente y no hagas el tonto !

         Mon petit coup de gueule ramène l'ordre d'un coup dans les rangs. Je lis le texte. Nous expliquons quelques mots de vocabulaire.

- Cyril, no apuntes mientras estoy explicando….

Cyril, rouge de honte, disparaît derrière Jérémy. Questions, réponses, re-questions, re-réponses. Le thème leur plaît, ils ont des tas de choses à dire, à raconter qui n'ont pas forcément un lien avec le texte. Je les écoute mi-fâchée, mi-amusée. Benjamin s'exclame que pour rien au monde on ne le ferait sauter à l'élastique. Je lui fais reformuler en espagnol. Il a du mal. Benjamin fait toujours beaucoup d'efforts, mais il a toujours du mal. Les autres pouffent de rire. Je leur jette un mauvais regard. Fin de la première heure.


Mathieu, pensando


         Pendant qu'ils notent la trace écrite, je les observe. Ils échangent une règle, un stylo. Mathieu me pique mon blanco. Ils leur manque toujours quelque chose.

         - Et maintenant, on fait quoi ? demande Cyril d'un air ingénu.

         - Vous faites l'exercice 1 de la fiche que je vous ai distribuée avec le texte.

         Je cherche un mouchoir dans mon sac et je tombe sur mon appareil photo. Je l'allume et je le pose sur mon bureau. Le bruit de l'objectif leur fait lever le nez.


Jérémy, escribiendo


         - Vous allez nous prendre en photo? demande Anthony en recoiffant d'une main coquette sa tignasse rebelle.

         Curieusement, très curieusement, ils me laissent passer entre eux, les cadrer serré sans rien dire. Ils continuent à travailler sagement. Les plumes crissent sur les pages. Je range le petit Nikon. Nous corrigeons ; je suis contente : ils ont bien travaillé.

         La sonnerie retentit. Les cahiers et les trousses disparaissent dans les cartables.

         - Buen fin de semana.

         Ils sortent. Pas un ne demandera à voir les photos.

 

Rédigé par khassiopee

Publié dans #Nouvelles du Ciel

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L
Quelle idée sympa que de prendre ses élèves en photo !PAr contre je ne pipe rien à l'espagnol, il me faudrait une traduction.
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E
Outre ta superbe manière de mener ce petit bijou de moment vérité, ce qui me saute aux yeux c'est qu'ils n'ont PAS DEMANDE à voir les photos. Détachement ? Confiance ? Oubli ? Impatience (du genre : mon corps est ici mais mon esprit est déjà dehors!), voire un mélange de tout ? C'est curieux tout de même, eux qui sont dans la société de l'image, qu'ils ne se préoccupent pas plus de ça de celles qu'on a pu capturer les concernant...
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Y
ben ça alors, j'en reviens pas que tu l'aies fait, c'est EXCELLENT !!! bravo vraiment... plus je lisais, plus je voyais les photos, plus je me disais : non !! elle a pas fait ça !!!. Délire j'adore, et pour l'espagnol, même pas je m'y risque... trop honte ;-)
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B
Coucou, longue absence sur les blogs, et je te retrouve toujours aussi facétieuse. ils ont du bol, tes élèves!
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M
Comme quoi... Ils chahutent un peu mais ils t'adorent et te font confiance. Sinon, ils ne t'auraient pas laissés faire ! C'est marrant, ma môman (prof d'espagnol aussi.... hmmm) a la même méthode : No se apunta nada mientras estamos hablando ! ;-)
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C
Ils ne savent pas le demander en espagnol ...Bises Khass ...
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C
C'est là l'écriture d'un moment plein de vérité.La photo en classe, j'y ai eu droit. Ce n'était pas encore le numérique et je n'étais pas le photographe. C'était à la fin de l'année, que les jeunes filles me présentaient MA photo, j'étais au tableau de trois quart arrière.Aujourd'hui, c'est une jeune maman de deux enfants que je croise de temps en temps.
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S
j'aurais bien aimé t'avoir comme prof d'espagnol !
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G
En tout premier lieu, si tu vas au dodo, je te souhaite une très bonne nuit !Ensuite concernant ton com sur mon blog, j'ai AdobePhotoShop CS8 dont je suis très satisfait. Si tu veux quelques tuyaux sur les logiciels de retouche photo, n'hésite surtout pas à me contacter par mail (je t'ai laissé mon adresse), je me ferai un grand plaisir de te répondre.Merci pour ton passage que je prends comme un encouragement et j'espère à bientôt. Re-bonne nuit.
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P
Il est super sympa, ce billet ! J'ai adoré !L'ambiance de la classe, la douce insolence des ados, le cours qui prend une direction pas vraiment prévue, tes propres sentiments mitigés...Je me suis retrouvée un peu élève, un peu prof, et même l'odeur particulière des salles de classe m'est revenue.Merci, c'était un agréable moment.
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G
Eux non !Mais nous, si.
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