Studio François
Publié le 16 Janvier 2008
Le rideau de fer est à moitié fermé. Sur la vitrine une affichette griffonnée à la main précise laconique : "Le magasin est définitivement fermé à partir du 31 décembre 2007. Le studio François vous remercie pour votre fidélité. En cas de réclamations appeler au 0553…… ." je relis incrédule espérant m'être trompée. Mais le courrier qui s'amoncelle derrière la porte et qu'on ne ramasse plus, les étagères vides et les murs blancs sont autant de signes tangibles d'un abandon définitif des lieux par leur propriétaire. Le Studio François n'existe plus…
J'ai quatre ans, cinq peut-être et l'on me conduit y faire mes premières photos d'identité que l'autorité compétente apposera sur le passeport de ma mère. François A. exulte en me faisant prendre la pause devant l'objectif. François A. est un ami de mon père, il est photographe et il joue aussi de la clarinette. Je ne comprends pas ce qu'ils disent, ils parlent en espagnol. De toute façon leur discussion ne m'intéresse pas, je suis fascinée par la chambre noire et les bains de révélateur et aussi par les films qui sèchent sur une corde comme dans les films à la télé que nous venons d'acheter. François A. est un personnage rare, haut en couleur ; son phrasé se précipite et les mots explosent hors de sa bouche en gerbes de postillons : il a quelque chose de Salvador Dali dans l'accent et la fantaisie d'un De Funès à ses heures de gloire.
C'est lui qui me vendit mon premier appareil photo, un Fujica ST 705 et tout le matériel qui allait avec. J'avais vingt et un ans et je partais à Prague. La mort vint le cueillir brutalement quelques années plus tard et je sais que sa disparition fut un déchirement pour mon père. C'est ce jour-là que j'appris qu'ils s'étaient connus au camp d'Argelès.
Ce fut P. son jeune assistant qui reprit l'affaire qui avait pignon sur rue. En plus des photos d'identité, des photos de mariage et de portraits d'art, P. couvrait pour la presse locale la plupart des reportages photographiques des événements culturels et sportifs de la Bastide dont il assurait le développement et les tirages en noir et blanc. A quelques coups de peinture près, il ne changea pratiquement rien à l'agencement de la boutique et elle est aujourd'hui comme elle est dans mes souvenirs, sauf peut-être les rideaux en velours rouge qui disparurent un beau jour mais je ne me souviens plus quand.
Puis, vint l'ère du numérique et peut-être comme une nostalgie du passé et de l'argentique, comme un refus de l'inéluctable qui finit par le rattraper et le faire sombrer comme tant d'autres.
J'écrase mon nez contre la vitre sale et je pense que je ne sais pas où je vais aller faire faire mes photos d'identité pour mon passeport.